Dans le cadre du Groupe de Travail Documentation un des nombreux GT du CAT (Consortium d’Accompagnement des Transition) – en réponse à l’Appel À Communs « Sobriété et Résilience » 2023 de l’ADEME – la pratique du Cercle de Dialogue Public ayant été retenue pour contribuer à la documentation pour la démocratisation des processus dialogiques dans les territoirs, j’ai répondu à quelques questions pour une première trame de sa documentation :
De quel type de cercle souhaites-tu faire le récit ? Peux-tu dire pourquoi tu choisis spécifiquement cette expérience ?
Il s’agit d’un cercle de dialogue que j’ai dénommé “public” car après quelques mois de pratique dans deux cafés associatifs, ce cercle m’apparaît très différent, dans son cadre, sa dynamique et son fond, par rapport à ceux que je pratique pour ou avec des professionnels en entreprise (équipes, managers, etc) ou entre pairs (coachs, facilitateurs, et autres métiers de la relation d’aide). J’ai commencé à animer ces cercles en 2023 et l’expérience se poursuit à ce jour.
Plusieurs points m’invitent à choisir de mettre cette expérience en récit :
- suite aux périodes de confinement 2020-22 et face aux tournures qu’ont pris divers aspects de notre civilisation (climatique, guerre, politique, économique, etc) c’est une réponse qui m’est apparue en me demandant ce que je pouvais faire à mon niveau pour contribuer, au moins, à la préservation de ce qui m’apparaît comme systématiquement mis à mal dans la plupart des contextes (professionnel, social, médiatique, familial, associatif, etc) : la possibilité entre les personnes de s’écouter et de se parler en restant ouvert à leur cheminement vers la concorde
- j’ai été particulièrement surpris par cette expérience, je le suis encore, à chaque cercle, j’apprends beaucoup sur la pratique du cercle de dialogue public, sur moi, sur les personnes qui participent, sur notre société
- cela a été un choc lorsque Elisabeth Martini m’a proposé de participer à ce projet de documentation en réponse à l’Appel à Communs Sobriété et Résilience de l’ADEME 2023
- enfin, c’est une façon pour moi de rendre hommage à mes frères amérindiens de la tradition huron-wendat qui m’ont initié à la pratique du cercle. C’est une longue histoire… Je résume ici en disant que c’est là-bas qu’est née en moi et continue de grandir l’inspiration et la posture de membre du cercle, et de facilitateur du cercle si besoin
Qu’est-ce qui a conduit à proposer ce cercle, et quelle était l’intention ?
Une triple intention :
- Étudier davantage et sur le terrain social, la méthode, en gardant le cap sur l’essence que je retiens de la proposition de David Bohm, qui serait de proposer un dispositif pour un groupe qui pourrait découvrir et pourquoi pas déjouer le fait que : “Dans notre culture moderne, les hommes et les femmes peuvent interagir de diverses façons : ils peuvent chanter, danser et jouer ensemble sans trop de difficulté, mais leur aptitude à parler de sujets qui les touchent profondément semble les conduire invariablement à la dispute, à la division et souvent à la violence. À notre avis, cet état de chose est le reflet d’une lacune profonde qui se répand dans le processus de la pensée humaine..“
- Me faire connaître de manière indirecte en tant que professionnel de la relation d’aide (coach professionnel, facilitateur des dynamiques collectives, accompagnant des transformations).
- Et quelque chose comme soulager ma conscience de mon impuissance face à la tournure de notre civilisation, voire, ma collaboration à cette tournure…
Quelques éléments de contexte sur ce cercle : lieu, qui est invité ou sollicité, combien de personnes, population, etc ?
Le cercle de dialogue public se déroule dans deux cafés associatifs, un à Rosny-sous-Bois (93110) l’autre à Paris (75009). C’est donc une association qui tient ces cafés où sont proposées diverses activités, tricot, Café psy, France Alzheimer, Conversation en anglais, concerts, jeux de cartes, collage, restauration, etc.
Dans la communication que j’ai diffusée, la proposition de Cercle de Dialogue est libre, gratuite et ouverte à toutes et tous. Chaque cercle se déroule en deux heures (2 fois 40 minutes + intro + pause) une fois par mois dans chaque café.
Le cercle varie de 3 à 8 personnes. En général des personnes du quartier ou alentours. Je n’ai pas de statistiques précises, je dirais entre 45 et 65 ans, 80% féminin, tous corps de métiers. 20-30% des personnes viennent régulièrement au cercle de dialogue public.
Quelques détails sur la méthode mise en œuvre :
Comment s’appelle-t-elle ?
Cercle de Dialogue Public
Qui est à l’origine de cette méthode ? Ou est-elle inspirée d’une autre méthode ?
L’origine de cette méthode vient de David Bohm. Lire le livre “Le Dialogue – Cheminer vers l’intelligence collective” et la proposition “Le Dialogue” de David Bohm, Donald Factor et Peter Garrett. J’ai suivi deux formations en 2022 à Paris auprès de Dialogue-IC et de Art Of Hosting.
Dans ma pratique, d’autres approches sont “inspirantes” : le cercle de parole dans la hutte de sudation amérindienne ; le coaching professionnel ; la facilitation des dynamiques collectives ; la médiation corporelle ; le travail par la voix.
Combien de temps de préparation a été nécessaire ?
Aucun. Mis à part la rédaction et la diffusion de la communication.
J’avais aussi rédigé des supports de consignes à lire au début du cercle, mais cela s’est avéré contre-productif.
Quelles sont les grandes étapes ?
- Rappel du rôle de facilitateur et des consignes basiques et réponses aux éventuelles questions.
- Un premier cercle de 40 minutes.
- 10 minutes de pause.
- Un second cercle de 40 minutes.
- Ensuite je propose parfois un “débriefing”, surtout pour savoir comment les participants ont vécu le cercle afin d’améliorer ma pratique et éventuellement de donner des éléments de pratique par exemple sur l’écoute.
Quels sont les postures/rôles nécessaires pour faciliter cette méthode ?
Deux rôles : Des participants et un facilitateur qui participe aussi au même titre que les autres membres du cercle.
3 postures : les classiques postures haute et basse du facilitateur, et la posture avant et après le cercle : un citoyen comme les autres.
Que disent les participants de cette expérience de cercle de dialogue public ?
Parfois à la fin des deux heures, je propose un “débriefing” pour écouter ce que les participants disent de leur vécu du cercle :
– « pas toujours d’accord avec ce qui se dit ici, et puis certaines personnes ne sont pas revenues, peut-être trop dérangées, peut-être ai-je été maladroite, mais nous avons toujours été au bout des sujets »
– « je n’ai jamais parlé comme ça avant, ni écouté comme ça »
– “il faudrait plus qu’une séance par mois ! je note que mon comportement à changé, surtout avec des personnes avec c’était difficile pour moi, maintenant j’arrive à les écouter, et eux aussi ça les fait changer de comportement, c’est plus apaisé dans nos échanges”
– « moi qui adore confronter dans la discussion, je suis confronté par ce qui se passe ici, en plus parfois sur des sujets très difficiles à aborder ailleurs »
– “je ne m’attendais pas à parler aussi profondément et ouvertement sur ce sujet si intime, pourtant dans mon métier on aborde des sujets très sensibles, mais là…”
– ”ce qui est fou c’est qu’il ne s’agit pas d’être d’accord, chacun continue de parler de son point de vue sans que ça gêne personne”
– “je me demande à quoi ça sert de venir parler ici, qu’est-ce que ça peut bien apporter aux personnes et qu’est-ce que ça va changer à notre situation … surtout si on est pas obligé de venir régulièrement, à quoi ça sert ?”
– “je pratique un autre groupe, avec un psy, y’en a qui parlent trop et qui parlent mal, ici, vu que personne ne coupe la parole, je ne comprends plus, je ne peux plus réfléchir comme avant, ça me demande de revoir ma façon de dire ce que j’ai à dire”
– “c’était un peu bizarre au début, genre anciens alcooliques, mais ça m’a fait du bien même si je parle pas beaucoup, ça me fait du bien d’être là”
Quels sont les effets de cette expérience que tu as remarqué à chaud (et peut-être dans le temps) ?
Les effets ?? Les effets sur quoi ? Il y a tellement de choses qui se passent !…
En ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe pour chaque individu et comment évolue la dynamique du groupe.
Pour l’instant je n’ai pas assez de recul sur le groupe, car en un an et demi, il n’y a pas encore de “groupe constitué” – étant donné que je n’oriente en rien dans un sens plus que dans un autre. Chacun vient quand il veut autant qu’il veut. C’est tout. Je remarque tout de même que dès le premier cercle, la plupart des personnes sont assez vite captivées par le récit des autres – ça se voit dans le langage non-verbal, yeux fixés sur le locuteur, corps immobile, mouvements du visage (étonnement, sérieux, triste, etc).
Pour les quelques personnes qui reviennent, en termes d’effets généraux, j’observe des phénomènes classiques. C’est-à-dire curiosité voire scepticisme au premier cercle. Ceux qui reviennent disent avoir goûté une certaine surprise “positive” et/ou un certain contentement lors du premier cercle. Aux cercles suivants, ils paraissent plus détendus et semblent se laisser aller à plus de spontanéité. Sur une douzaine de personnes, il y en a deux qui reviennent à chaque cercle…
Il y a bien deux effets que je trouve peu classiques. 1. Toutes les personnes qui viennent, dès la première fois, abordent des sujets “forts” qui les concernent directement, tels que : violences subies, décès d’un proche, harcèlement au travail, désespoir au quotidien, colère contre le système, inquiétude en l’avenir, récemment retraité, etc. 2. D’une façon ou d’une autre elles expriment en fin de cercle, que ça leur “a fait du bien”.
Qu’est-ce que les participants ou les facilitateurs ont appris de cette expérience ? Qu’est-ce qui t’as marqué ?
Pour les participants je ne sais pas. Peut-être qu’à un moment je leur poserai la question.
En tant que facilitateur j’ai dû apprendre à faire plus simple, notamment au niveau de la formulation et de la quantité des explications et des consignes de départ. J’ai appris aussi encore plus loin à quel point le processus est fiable, même en laissant passer de nombreux écarts des participants avec les consignes – j’ai trouvé plus productif de les rappeler au début du cercle, et parfois à la fin, de questionner le groupe sur l’intérêt de certaines consignes. Qu’aujourd’hui j’appelle plus volontiers “des indications pour le fonctionnement du cercle”.
Ce qui m’a marqué le plus plus c’est l’intimité des sujets des participants et le fait qu’ils ne les avaient jamais abordés aussi ouvertement en public. J’imagine que cela répond à un besoin particulier pour chacun d’eux, et il trouve dans le cercle une place, un accueil, pour s’exprimer. Ce qui me marque aussi c’est que je crois que ces situations de vie devraient être accompagnées, éventuellement par des professionnels (psy, sociologue, coach, etc), et que, hypothèse, les personnes semblent trouver une équivalence dans la qualité d’écoute du groupe.
Avec du recul, quelles sont pour toi les caractéristiques et/ou les qualités essentielles de cette méthode ?
- Inclusivité, des personnes et des sujets.
- Sécurité des personnes suffisante pour aborder d’emblée des sujets qui comptent pour elles.
- Pédagogie autonome et rapide de l’écoute.
- L’authenticité n’est pas un défi ni une défiance ni contraire à la légèreté.
- A la fois supporte et induit la profondeur de la parole et du sens.
- Il arrive au groupe, assez simplement, de traverser les failles habituelles des discussions, pour se retrouver, je dirais naturellement, très près de ce que chacun appellera à sa façon, l’essentiel, la présence, le silence, l’accueil inconditionnel de l’autre, une certaine sérénité, etc.
Quels bons conseils as-tu envie de partager pour sa mise en œuvre ?
- Faire simple. Rester centré sur sa posture et sa qualité d’écoute.
- Ne pas chercher à obtenir un quelconque résultat, donc, avoir foi dans le processus, et une certaine sensibilité à la présence du centre du cercle.
- Et je serais imprécis si je ne disais pas aussi : aimer les gens quels qu’ils soient et quels que soient leurs attitudes et leurs propos.
Au café associatif L’Osteria à Paris
3ème jeudis 15:00-17:00
17 octobre / 21 novembre / 19 décembre
16 janvier / 20 février / 20 mars
17 avril / 15 mai / 19 juin
Au café associatif L’Osteria à Rosny-sous-Bois
3ème mercredis 18:30-20:30
16 octobre / 20 novembre / 18 décembre
15 janvier / 19 février / 19 mars
16 avril / 21 mai / 18 juin
Extrait de la proposition de David Bohm, Donald Factor et Peter Garrett :
Le Dialogue, dans le sens que nous choisissons de lui donner, est une façon d’explorer les racines des nombreuses crises auxquelles l’humanité fait face aujourd’hui. Il nous permet d’examiner en profondeur et de comprendre les différents processus qui fragmentent et empêchent la réelle communication entre les personnes, les nations et même entre les différentes composantes d’une organisation. Dans notre culture moderne, les hommes et les femmes peuvent interagir de diverses façons : ils peuvent chanter, danser et jouer ensemble sans trop de difficulté, mais leur aptitude à parler de sujets qui les touchent profondément semble les conduire invariablement à la dispute, à la division et souvent à la violence. À notre avis, cet état de chose est le reflet d’une lacune profonde qui se répand dans le processus de la pensée humaine.
Prévenez de votre venue par email à franck@sinimale.fr
Café associatif L’Osteria Paris
22 avenue Trudaine, 75009 Paris
Café associatif L’Osteria Rosny-sous-Bois
17 rue du Général Leclerc, 93110 Rosny-sous-Bois
